Le débat

Le débat s'est déroulé en présence des trois professeurs de physique invités.

Les membres du P.I.F. présents étaient Thomas Lourenço, Guillaume Quantin et Thomas de Colombel. Gregor Schulmeister, étudiant " Erasmus " de l'ENSEEIHT, était retourné en Allemagne la semaine précédente.

Etait aussi présent le neveu de Monsieur Baudrand, étudiant à Paul Sabatier, qui connaissait les professeurs de l'université.

Nous avons enregistré le débat sur cassette audio et vous proposons dans cette partie un résumé des deux heures de débat, suivi d'une brève analyse ayant pour but de voir en quoi le débat nous permet de répondre à la question.

> LE RESUME

Nous avons tenté d'organiser le débat selon un plan suivant la chronologie des théories ayant apparues au cours du siècle passé. Nous tenions cependant à laisser parler nos invités sans trop intervenir tant que possible.

Tout s'est passé le mieux du monde, puisque d'eux mêmes, les intervenants sont passés de l'explication de la relativité et de la mécanique quantique aux derniers avancées reconnues aujourd'hui (décohérence) pour conclure sur des considérations plus philosophiques.

Introduction :

Après les présentations, il nous a semblé intéressant de commencer par un bref rappel sur l'origine de la physique.

Même si les égyptiens avaient déjà des notions de mécanique, les premiers hommes à avoir théorisé le fonctionnement du monde sont grecs : Héraclite, Pythagore, Euclide posent les bases de la géométrie. La conception occidentale du monde en découle directement. La première révolution est galiléenne : par l'expérience Galilée remet en cause le système aristotélicien de Ptolémée. Cependant, cette approche nous a menés à une conception déterministe (le monde existe et est prévisible ) et objective (le monde existe en dehors de toute expérience). Par conséquent, au XIXème siècle la théorie de l'électromagnétisme de Maxwell semble être une des dernières pierres de l'édifice de la physique.

Pourtant, deux nouvelles révolutions voient le jour à la fin de ce siècle. La relativité remet en cause l'universalité du temps et la mécanique quantique l'objectivité du monde et son déterminisme.

La physique d'aujourd'hui a conservé de l'esprit grec son réductionnisme. On cherche a tout expliquer à partir de quelques principes et le rêve de tout physicien reste de découvrir l'équation de l'univers : le principe unique. C'est l'objectif de la théorie de la grande unification, qui cherche à associer relativité, électromagnétisme, gravité et mécanique quantique.

La relativité

Malgré son originalité la relativité reste une théorie classique car elle est déterministe. La causalité y est conservée car aucune particule ne peut voyager plus vite que la lumière. Même si la relativité du temps par rapport à un référentiel peut être choquante, les lois de cette théorie peuvent se déduire facilement des lois classiques en choisissant un référentiel adéquat.

La mécanique quantique

De même que la théorie des champs heurtait l'intuition en permettant à des ondes de se déplacer hors de tout milieu matériel, la mécanique quantique remet en cause de nombreux acquis de la physique classique.

Cette théorie, comme toute théorie physique est née de l'expérience : comment expliquer les raies spectrales discrètes obtenues par le rayonnement du corps noir ? Comment expliquer la stabilité de la matière composée de systèmes de charges classiquement instables ? La théorie microscopique de la lumière ne parvint pas à l'expliquer.

Bohr propose pour répondre à ces questions un modèle atomique qui donne à l'électron des états d'énergie stables. C'est la quantification de l'énergie mise au point avec Plank. De Broglie fait le lien avec l'onde et découvre la dualité onde corpuscule. Enfin Shrödinger tente de mettre ceci en équation et parvient à ces fins en remplaçant le terme d'accélération classique par un terme imaginaire et introduit ainsi pour la première fois les nombres complexes dans une équation physique, la mécanique quantique est née. Mais que représente le Y dans l'équation de Shrödinger ? De Broglie croyait que c'était un champ, c'est en fait la fonction d'onde qui, élevée au carré, représente une densité de présence, une probabilité.

La fonction d'onde

L'indéterminisme de la mécanique quantique repose sur un postulat : il y a certaines choses que l'on ne peut que prédire statistiquement.

Alors que l'on peut aujourd'hui faire des expériences avec des particules uniques, il est impossible de prédire son évolution. On peut juste prédire une probabilité d'évolution relative à la fonction d'onde. Objet abstrait sans réel sens physique, cette incertitude régie par le principe d'Heisenberg est totalement indépendante des incertitudes de mesure, elle est intrinsèque à la théorie.

Cette idée choqua nombre de physiciens dont Einstein qui proposa une théorie à variable cachée. La solution serait alors d'accumuler les expériences pour épuiser toutes les valeurs possibles de cette variable qu'on ne connaît pas. Y correspondrait à l'ensemble de ces valeurs. Mais cette théorie n'était pas satisfaisante, de même que de nombreuses autres qui tentaient de rendre la mécanique quantique déterministe (intégrales de Feinmann, théorie de Bohr…). En effet, ces théories nécessitent plus de principes de base sans pour autant donner plus de résultats.

La théorie de la décohérence

Si la mécanique quantique est indéterministe, dans le sens que l'on ne peut prédire qu'une probabilité, il reste à expliquer pourquoi, lors de la mesure, la particule se trouve dans un état imprévisible mais déterminé.

La théorie de la décohérence explique ceci grâce à l'intervention d'un objet macroscopique, l'outil de la mesure. En effet si avant la mesure la particule se trouve dans un état de superposition quantique, l'interaction avec un système à grand nombre de degrés de liberté va réduire cette superposition à un état donné. La superposition se trouve diluée dans le grand nombre de degrés de liberté.

Ainsi, les objets macroscopiques ne peuvent être considérés comme quantique, à l'exception des systèmes sans dissipation : lumière, supraconducteurs…

Récemment, une expérience a permis de visualiser la décohérence (passage d'un état superposé à un état unique) et il est possible de calculer le temps de décohérence d'un système. Si cette théorie explique pourquoi la mesure donne une valeur déterminée à chaque particule, elle ne rend en rien la mécanique quantique déterministe car elle ne prédit pas cette valeur qui obéit simplement à la probabilité donnée par la fonction d'onde.

 

Conclusion :

La mécanique quantique a aujourd'hui été testée à toute échelle de temps et d'espace et semble donc difficile à remettre en cause. Cependant, si cette théorie est indéterministe, cela ne veut pas pour autant dire que le monde l'est. En effet, il est tout à fait possible qu'un jour une nouvelle théorie viennent corriger cette lacune de la mécanique quantique.

Quant à savoir si le monde est déterministe ou non, nos trois invités aimeraient bien le savoir. Pourtant ils se gardent de tout a priori et ne veulent croire qu'en l'expérience à l'instar de l'école de Copenhague qui ne cherche pas à savoir ce qui se passe en dehors de la mesure.

D'un point de vue religieux, l'indéterminisme de la mécanique quantique ne remet pas en cause l'existence d'un dieu. L'évolution du monde peut suivre d'autre lois que celles intelligibles à l'homme. L'indéterminisme de la physique quantique n'est donc pas gênant en soi. Il est par contre beaucoup plus gênant de ne pas arriver à unifier la mécanique quantique et la relativité générale, car il s'agit d'une incompréhension de choses intelligibles à l'homme.

Par conséquent, si la mécanique quantique pose beaucoup de questions d'ordre philosophique intéressantes, ce ne sont pas elles qui font avancer la science. Il est nécessaire d'éviter tout dogme philosophique et de rester pragmatique.

 

> L'ANALYSE

La préparation du débat nous avait demandé un travail de documentation important. Il fallait essayer de comprendre comment on en était arrivé à remettre en question l'aspect déterministe de la physique, quelles en étaient les conséquences.

Il est intéressant de remarquer que ce travail n'est pas très évident lorsque il n'est pas encadré, orienté dans la réflexion. En effet, au bout de six mois de documentation, il n'était pas très clair que le débat permette de déboucher sur une solution, une réponse à la question " Où en est le déterminisme ? ".

C'est pourtant bien ce que cette discussion a apporté – d'un point de vue il est vrai strictement scientifique – en faisant remarquer que, dans l'optique de faire avancer la science, on n'apporte rien en tentant de sortir la mécanique quantique du cadre de la science.

Cette réponse pragmatique permet d'éclaircir nos esprits, qui ont peut-être eu tendance à " partir dans tous les sens ", en se posant trop de questions.

Cependant, il faut avouer que ce débat ne remplissait qu'à moitié ses objectifs, en ne présentant pas de point de vue de " l'autre camp ". L'opposition de la physique et de la philosophie n'est peut-être en fait pas de mise ici, et comme nous le faisaient remarquer les professeurs de physique, il aurait été intéressant qu'un professeur de philosophie expose et explique sa manière de penser. La question reste donc posée de savoir en quoi ces deux matières d'enseignement peuvent être complémentaires quant à l'approche du déterminisme au sens large.